Par Cathy Ceïbe
Lundi, 11 Mai, 2015
L'Humanité
Marisol Touraine, ministre française de la santé,
et son homologue cubain, Roberto Morales, ont signé, avant-hier à la havane, un
accord de coopération.
Photo : Amil
Lage/AFP
Premier président français à se rendre en visite
officielle à Cuba, François Hollande espère y nouer des partenariats économiques
et des coopérations scientifiques et culturelles. Un dégel qui n’est pas sans
rapport avec les bouleversements géopolitiques que connaît la région.
La Havane (Cuba), envoyée
spéciale. Arrivé hier soir à l’aéroport José- Marti de La Havane, François Hollande
termine ce soir sa visite à Cuba par un entretien et un dîner avec le président
Raul Castro, après avoir notamment rencontré le cardinal Jaime Ortega, dialogué
avec des étudiants et signé des accords économiques. Depuis plusieurs semaines,
les États-Unis ont modifié leur politique jugée comme un « échec » et amorcé un
dégel des relations. Blocus qui entrave l’essor de l’île. Opérations armées,
complots de la CIA, inscription sur la liste des « États terroristes »... rien
n’aura été épargné au peuple cubain qui a consenti des e. orts considérables
durant ces quinze dernières années, notamment depuis que l’effondrement de
l’Union soviétique l’a privé de son principal partenaire. Le président
français, premier des grands pays capitalistes à faire le déplacement depuis la
réouverture du dialogue entre Washington et La Havane, s’est finalement décidé
à ouvrir une nouvelle page.. Quelles seront les conséquences de l’appel d’air
que vont constituer des relations économiques normalisées? Comment garantir le progrès
pour tous? Quelles réformes choisir pour relancer la production et moderniser
le pays? Quel débat politique instaurer pour mieux associer les citoyens et
étendre la démocratie? Ces sujets sont ouvertement évoqués, aussi bien par les
dirigeants du PC cubain que dans la rue. L’Humanité met le projecteur sur une
île en effervescence.
Le mur de Berlin est tombé en
1989 mais depuis cette date, aucun chef d’État d’Europe occidentale n’a daigné
se rendre à Cuba. Un peu comme si la guerre froide n’avait jamais cessé aux
yeux de ces chancelleries, rendant la nation moteur de la Caraïbe
infréquentable alors que le reste du monde s’y presse. François Hollande sera
donc le premier à visiter officiellement la Grande Île.
Une journée marathon conclue
par un dîner
avec Raul Castro
Le président français devait
arriver hier soir à La Havane avant d’entamer une journée marathon avec la
remise des insignes de commandeur de la Légion d’honneur au cardinal Jaime
Ortega y Alamino, en reconnaissance de sa médiation dans la libération de
détenus et du rôle de l’Église dans le rapprochement cubano-américain. Il
rencontrera ensuite des étudiants de la célèbre université de La Havane, avant
d’inaugurer le Palacio Gomez, nouveau siège de l’Alliance française. Sur le
terrain des affaires, le président français assistera aux conclusions d’un
forum économique qui devrait aboutir à la signature de nouveaux accords
commerciaux. Après le dépôt d’une gerbe au pied du monument dédié à José Marti
et la cérémonie au palais de la Révolution, François Hollande s’entretiendra,
lors d’un dîner d’État, avec son homologue cubain, Raul Castro. Rendez-vous
« historique » pour les uns, inconcevable visite dans « l’île communiste »
ravalée au rang de « goulag tropical » aux yeux des autres, ce déplacement
officiel ne laisse personne indifférent.
Curieusement, aucun locataire de
l’Élysée n’a foulé jusque-là le sol de la patrie de Marti alors que les deux
pays « ont des liens historiques, culturels et sociaux très importants »,
rappelle Leyde E. Rodriguez Hernandez, de l’Institut supérieur des relations
internationales de Cuba. Pour ce docteur en histoire, ancien diplomate, la
visite de François Hollande est « un événement, une avancée au plus haut niveau
dans les relations politiques et diplomatiques qui influencera l’ensemble des
liens économiques, commerciaux et culturels entre les deux pays ». Des liens
« qui ont résisté à l’épreuve du temps même dans les pires moments de
désaccords et de contradictions », soutient-il. En 1996, sous l’impulsion du président
du gouvernement espagnol de l’époque, José Maria Aznar, l’Union européenne (UE)
avait adopté une série de mesures limitant les échanges politiques,
diplomatiques et culturels au prétexte de la situation « des droits de l’homme
et des libertés fondamentales » à Cuba. Le farouche atlantiste espagnol était
parvenu à aligner la diplomatie de Bruxelles sur celle de Washington. Un pas
supplémentaire était même franchi en 2003, lors de la seconde guerre d’Irak,
quand La Havane avait été inscrite sur la liste noire des « pays soutenant le
terrorisme » ! Paris s’était alors rangé au principe de cette « position
commune » de l’UE, alors qu’il se prononce depuis 1991 en faveur de la levée de
l’embargo unilatéral décrété par les États-Unis au lendemain de la révolution
de 1959 et dont les conséquences économiques pour Cuba sont estimées à au moins
112 milliards de dollars de pertes.
La mise au ban
de Cuba a été contre-productive pour toutes les parties
Depuis, Paris a rectifié le tir
avec la signature en 2008 d’accords bilatéraux et la reprise, deux ans plus
tard, de la coopération entre les deux pays. Les visites officielles se sont
succédé, avec celle du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius le
12 avril 2014 ou encore celle de Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du
Commerce extérieur, de la Promotion du tourisme et des Français de l’étranger,
qui s’est soldée en mars 2015 par la signature d’un accord entre le Centre de
coopération internationale en recherche agronomique (Cirad) et le ministère
cubain de l’Agriculture. Ce retour à la ligne politique des années Mitterrand
n’est certes pas étranger aux bouleversements géopolitiques que connaît la
région. Mais la reprise des relations diplomatiques entre Cuba et les
États-Unis en décembre 2014, après plus d’un demi-siècle de coups tordus de
l’administration américaine, n’explique pas tout. La France s’est trompée
d’ennemi. Comme d’autres puissances, elles aussi contraintes de se rendre à
l’évidence : la mise au ban de la Grande Île a été contre-productive pour
toutes les parties mais surtout pour ses initiateurs. D’abord parce que Cuba a
toujours joui de la reconnaissance de ses voisins en Amérique latine – jusque
dans les rangs des gouvernements de droite, comme en attestent les actuelles
négociations de paix entre l’exécutif colombien et la guérilla des Farc à
La Havane. Cuba garde une stature de pays incontournable sur ce continent et
singulièrement dans la Caraïbe. Cette aura diplomatique s’étend jusqu’en
Afrique et en Asie, où les autorités cubaines cultivent des liens historiques
depuis les guerres d’indépendance et l’émergence des non-alignés. Sur la scène
du tiers-monde, Cuba fait toujours figure d’exception avec son indice de
développement humain élevé, en dépit de fortes contraintes économiques.
Le renforcement des relations
entre la France et Cuba s’inscrit donc dans la dynamique de « nouvelles
perspectives pour l’économie cubaine et son insertion en Amérique latine et la
Caraïbe, région de grandes potentialités économiques, commerciales », poursuit
Leyde E. Rodriguez. Cet espace régional joue selon lui « un rôle de plus en
plus actif sur la scène internationale en parlant d’une seule voix à travers
des mécanismes comme l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba), l’Union
des nations sud-américaines (Unasur) ou encore la Communauté d’États
latino-américains et caribéens (Celac) ». Autant d’organisations qui
n’existaient pas il y a dix ans encore et qui fonctionnement en totale indépendance
des États-Unis. La France et l’Union européenne, qui réoriente elle aussi
depuis un an sa diplomatie à l’égard de La Havane, regardent donc de près les
débouchés économiques qu’offre le continent, à commencer par Cuba. La Grande
Île connaît depuis 2009 une profonde mutation de son modèle économique avec des
réformes structurelles censées en corriger les errements. Ce nouveau modèle
n’est pas sans soulever des inquiétudes au sein de la société cubaine et des
différentes instances d’un pouvoir tiraillé entre le besoin de capitaux et la
préservation de conquêtes sociales dans les domaines de l’éducation et de la
santé. Quoi qu’il advienne, le pays concentre l’attention. L’un des exemples
les plus frappants de cette attractivité est la création de la zone de
développement de Mariel (ZDM), près de La Havane, qui, grâce à des
investissements brésiliens et chinois, devrait faire de ce port aux canaux
spéciaux l’un des lieux de transit privilégiés des gros cargos en direction de
l’Amérique latine. Dans le cadre des réformes économiques, « avec la nouvelle
loi sur les investissements étrangers, de nouvelles opportunités s’ouvrent pour
les entreprises françaises et pour le développement de la collaboration
bilatérale », assure Leyde E. Rodriguez Hernandez. La France est actuellement
le dixième partenaire commercial de Cuba, loin derrière l’Espagne et le Canada.
Paris ne cache pas sa volonté de renforcer les partenariats et les coopérations
entre les deux pays. Dans le domaine des biotechnologies, où Cuba cultive l’excellence,
mais aussi dans les secteurs du tourisme, où la France est déjà présente avec
le groupe Accor, de l’énergie et des transports. Cette nouvelle relation
pourrait aussi s’épanouir dans le champ académique, comme en témoigne la
présence conséquente de présidents d’université français dans la délégation qui
accompagne François Hollande. On est loin de la diplomatie au service de la
guerre avec la vente de Rafale aux monarchies obscurantistes du golfe Persique.