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martes, 12 de mayo de 2015

Paris veut reprendre pied sur la Grande Île en pleine mutation


Par Cathy Ceïbe
Lundi, 11 Mai, 2015
L'Humanité


 Marisol Touraine, ministre française de la santé, et son homologue cubain, Roberto Morales, ont signé, avant-hier à la havane, un accord de coopération.
Photo : Amil Lage/AFP

Premier président français à se rendre en visite officielle à Cuba, François Hollande espère y nouer des partenariats économiques et des coopérations scientifiques et culturelles. Un dégel qui n’est pas sans rapport avec les bouleversements géopolitiques que connaît la région. 

La Havane (Cuba), envoyée spéciale. Arrivé hier soir à l’aéroport José- Marti de La Havane, François Hollande termine ce soir sa visite à Cuba par un entretien et un dîner avec le président Raul Castro, après avoir notamment rencontré le cardinal Jaime Ortega, dialogué avec des étudiants et signé des accords économiques. Depuis plusieurs semaines, les États-Unis ont modifié leur politique jugée comme un « échec » et amorcé un dégel des relations. Blocus qui entrave l’essor de l’île. Opérations armées, complots de la CIA, inscription sur la liste des « États terroristes »... rien n’aura été épargné au peuple cubain qui a consenti des e. orts considérables durant ces quinze dernières années, notamment depuis que l’effondrement de l’Union soviétique l’a privé de son principal partenaire. Le président français, premier des grands pays capitalistes à faire le déplacement depuis la réouverture du dialogue entre Washington et La Havane, s’est finalement décidé à ouvrir une nouvelle page.. Quelles seront les conséquences de l’appel d’air que vont constituer des relations économiques normalisées? Comment garantir le progrès pour tous? Quelles réformes choisir pour relancer la production et moderniser le pays? Quel débat politique instaurer pour mieux associer les citoyens et étendre la démocratie? Ces sujets sont ouvertement évoqués, aussi bien par les dirigeants du PC cubain que dans la rue. L’Humanité met le projecteur sur une île en effervescence. 

Le mur de Berlin est tombé en 1989 mais depuis cette date, aucun chef d’État d’Europe occidentale n’a daigné se rendre à Cuba. Un peu comme si la guerre froide n’avait jamais cessé aux yeux de ces chancelleries, rendant la nation moteur de la Caraïbe infréquentable alors que le reste du monde s’y presse. François Hollande sera donc le premier à visiter officiellement la Grande Île.

Une journée marathon conclue par un dîner avec Raul Castro
Le président français devait arriver hier soir à La Havane avant d’entamer une journée marathon avec la remise des insignes de commandeur de la Légion d’honneur au cardinal Jaime Ortega y Alamino, en reconnaissance de sa médiation dans la libération de détenus et du rôle de l’Église dans le rapprochement cubano-américain. Il rencontrera ensuite des étudiants de la célèbre université de La Havane, avant d’inaugurer le Palacio Gomez, nouveau siège de l’Alliance française. Sur le terrain des affaires, le président français assistera aux conclusions d’un forum économique qui devrait aboutir à la signature de nouveaux accords commerciaux. Après le dépôt d’une gerbe au pied du monument dédié à José Marti et la cérémonie au palais de la Révolution, François Hollande s’entretiendra, lors d’un dîner d’État, avec son homologue cubain, Raul Castro. Rendez-vous « historique » pour les uns, inconcevable visite dans « l’île communiste » ravalée au rang de « goulag tropical » aux yeux des autres, ce déplacement officiel ne laisse personne indifférent.

Curieusement, aucun locataire de l’Élysée n’a foulé jusque-là le sol de la patrie de Marti alors que les deux pays « ont des liens historiques, culturels et sociaux très importants », rappelle Leyde E. Rodriguez Hernandez, de l’Institut supérieur des relations internationales de Cuba. Pour ce docteur en histoire, ancien diplomate, la visite de François Hollande est « un événement, une avancée au plus haut niveau dans les relations politiques et diplomatiques qui influencera l’ensemble des liens économiques, commerciaux et culturels entre les deux pays ». Des liens « qui ont résisté à l’épreuve du temps même dans les pires moments de désaccords et de contradictions », soutient-il. En 1996, sous l’impulsion du président du gouvernement espagnol de l’époque, José Maria Aznar, l’Union européenne (UE) avait adopté une série de mesures limitant les échanges politiques, diplomatiques et culturels au prétexte de la situation « des droits de l’homme et des libertés fondamentales » à Cuba. Le farouche atlantiste espagnol était parvenu à aligner la diplomatie de Bruxelles sur celle de Washington. Un pas supplémentaire était même franchi en 2003, lors de la seconde guerre d’Irak, quand La Havane avait été inscrite sur la liste noire des « pays soutenant le terrorisme » ! Paris s’était alors rangé au principe de cette « position commune » de l’UE, alors qu’il se prononce depuis 1991 en faveur de la levée de l’embargo unilatéral décrété par les États-Unis au lendemain de la révolution de 1959 et dont les conséquences économiques pour Cuba sont estimées à au moins 112 milliards de dollars de pertes.

La mise au ban de Cuba a été contre-productive pour toutes les parties

Depuis, Paris a rectifié le tir avec la signature en 2008 d’accords bilatéraux et la reprise, deux ans plus tard, de la coopération entre les deux pays. Les visites officielles se sont succédé, avec celle du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius le 12 avril 2014 ou encore celle de Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur, de la Promotion du tourisme et des Français de l’étranger, qui s’est soldée en mars 2015 par la signature d’un accord entre le Centre de coopération internationale en recherche agronomique (Cirad) et le ministère cubain de l’Agriculture. Ce retour à la ligne politique des années Mitterrand n’est certes pas étranger aux bouleversements géopolitiques que connaît la région. Mais la reprise des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis en décembre 2014, après plus d’un demi-siècle de coups tordus de l’administration américaine, n’explique pas tout. La France s’est trompée d’ennemi. Comme d’autres puissances, elles aussi contraintes de se rendre à l’évidence : la mise au ban de la Grande Île a été contre-productive pour toutes les parties mais surtout pour ses initiateurs. D’abord parce que Cuba a toujours joui de la reconnaissance de ses voisins en Amérique latine – jusque dans les rangs des gouvernements de droite, comme en attestent les actuelles négociations de paix entre l’exécutif colombien et la guérilla des Farc à La Havane. Cuba garde une stature de pays incontournable sur ce continent et singulièrement dans la Caraïbe. Cette aura diplomatique s’étend jusqu’en Afrique et en Asie, où les autorités cubaines cultivent des liens historiques depuis les guerres d’indépendance et l’émergence des non-alignés. Sur la scène du tiers-monde, Cuba fait toujours figure d’exception avec son indice de développement humain élevé, en dépit de fortes contraintes économiques.

Le renforcement des relations entre la France et Cuba s’inscrit donc dans la dynamique de « nouvelles perspectives pour l’économie cubaine et son insertion en Amérique latine et la Caraïbe, région de grandes potentialités économiques, commerciales », poursuit Leyde E. Rodriguez. Cet espace régional joue selon lui « un rôle de plus en plus actif sur la scène internationale en parlant d’une seule voix à travers des mécanismes comme l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba), l’Union des nations sud-américaines (Unasur) ou encore la Communauté d’États latino-américains et caribéens (Celac) ». Autant d’organisations qui n’existaient pas il y a dix ans encore et qui fonctionnement en totale indépendance des États-Unis. La France et l’Union européenne, qui réoriente elle aussi depuis un an sa diplomatie à l’égard de La Havane, regardent donc de près les débouchés économiques qu’offre le continent, à commencer par Cuba. La Grande Île connaît depuis 2009 une profonde mutation de son modèle économique avec des réformes structurelles censées en corriger les errements. Ce nouveau modèle n’est pas sans soulever des inquiétudes au sein de la société cubaine et des différentes instances d’un pouvoir tiraillé entre le besoin de capitaux et la préservation de conquêtes sociales dans les domaines de l’éducation et de la santé. Quoi qu’il advienne, le pays concentre l’attention. L’un des exemples les plus frappants de cette attractivité est la création de la zone de développement de Mariel (ZDM), près de La Havane, qui, grâce à des investissements brésiliens et chinois, devrait faire de ce port aux canaux spéciaux l’un des lieux de transit privilégiés des gros cargos en direction de l’Amérique latine. Dans le cadre des réformes économiques, « avec la nouvelle loi sur les investissements étrangers, de nouvelles opportunités s’ouvrent pour les entreprises françaises et pour le développement de la collaboration bilatérale », assure Leyde E. Rodriguez Hernandez. La France est actuellement le dixième partenaire commercial de Cuba, loin derrière l’Espagne et le Canada. Paris ne cache pas sa volonté de renforcer les partenariats et les coopérations entre les deux pays. Dans le domaine des biotechnologies, où Cuba cultive l’excellence, mais aussi dans les secteurs du tourisme, où la France est déjà présente avec le groupe Accor, de l’énergie et des transports. Cette nouvelle relation pourrait aussi s’épanouir dans le champ académique, comme en témoigne la présence conséquente de présidents d’université français dans la délégation qui accompagne François Hollande. On est loin de la diplomatie au service de la guerre avec la vente de Rafale aux monarchies obscurantistes du golfe Persique.