domingo, 10 de noviembre de 2013

Amérique Latine et grandes oreilles nord-américaines



Par Jean Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS
Les écoutes, tous azimuts, effectuées par les services secrets des Etats-Unis d’Amérique du Nord sont aujourd’hui publiques. Les chefs d’Etat, les partis politiques, les entreprises et organisations diverses latino-américaines étaient concernés, comme bien d’autres.

La source de cette information est connue et bien identifiée. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les autorités nord-américaines se soient efforcées, avec un succès très relatif, de la tarir et d’en neutraliser les flux. L’une de ces sources se trouve bloquée dans les locaux de l’ambassade d’Equateur à Londres, Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, et l’autre, Edward Snowden, analyste repenti de l’Agence nationale de sécurité des Etats-Unis (ou NSA), réside actuellement en Russie. L’une et l’autre ont des excroissances journalistiques au Royaume-Uni et au Brésil. Il s’agit du collaborateur du quotidien « The Guardian », Glenn Greenwald et de David Miranda son associé brésilien.
Les conséquences de ce dégorgement soudain sont en revanche plus intéressantes à examiner. Réalisées en toute illégalité et en tous lieux, « amis » comme « hostiles », ces écoutes ont en effet le mérite de révéler un état du monde. Comment ont réagi les Etats et les personnalités ciblées ? Quelles réponses envisagent-ils d’apporter ? L’Amérique latine a-t-elle manifestée une sensibilité et une réactivité particulières ?
L’émotion, la condamnation et la demande d’explications ont rempli les premiers communiqués diffusés par les chancelleries de pays d’identités politiques aussi diverses que le Brésil et la Colombie. Itamaraty, le ministère brésilien des Affaires étrangères a fait le commentaire suivant : « Il s’agit d’une atteinte à la souveraineté nationale et aux droits de l’Homme, incompatible avec les relations existant entre pays amis. » Le palais de San Carlos, la chancellerie colombienne, a au même moment rendu public son appréciation dans ces termes : « Rejetant les actes d’espionnage qui violent le droit à l’intimité des personnes comme les conventions internationales en matière de télécommunications, la Colombie va demander au gouvernement des Etats-Unis d’Amérique par l’intermédiaire de son ambassadeur en Colombie, les explications qu’elle est en droit d’exiger. »
Jusque-là rien ne distingue l’attitude des Latino-américains de celle manifestée, par exemple, par les Européens. Mais la fusée latino-américaine dispose d’un deuxième étage qui fait défaut à son homologue du vieux continent. Ce second élément, bien qu’ayant la même cible, n’a pas la même charge selon les pays. Le Mexique, particulièrement sourcilleux pour tout ce qui concerne la souveraineté et la non-ingérence, a mis un premier caillou dans la chaussure du président Obama. José Antonio Meade, secrétaire d’Etat aux relations extérieures, a en effet déclaré la chose suivante : « Quand les normes sont violées les explications ne sont pas suffisantes, nous attendons une enquête opportune, permettant d’identifier les responsabilités et les mesures correctives adoptées. » Le Brésil a été beaucoup plus loin. Sa présidente a spectaculairement manifesté son mécontentement en suspendant une visite d’Etat programmée à Washington en octobre.
Un certain nombre de décisions à caractère défensif et opérationnels ont été, par ailleurs, annoncées. Le Brésil a été particulièrement en pointe. Ses autorités ont en effet décidé d’imposer à l’administration publique un codage des courriels selon des modalités élaborés par le service fédéral de protection des données (ou Serpro). Le ministre brésilien des communications a par ailleurs déposé un projet de loi visant à contraindre les entreprises étrangères transnationales, présentes sur son territoire et offrant un accès à internet, à « stocker » leurs données sur place et à ne plus les envoyer dans un pays étranger.
La présidente brésilienne a également centré son discours, lors de la dernière assemblée générale de l’ONU, sur l’urgence et la nécessité de mettre en œuvre un instrument international garantissant l’inviolabilité et la protection des données transitant par internet. Le Brésil a reçu aux Nations unies le soutien de ses associés des groupes IBAS (Inde-Brésil-Afrique du sud) et des BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine). Il a par ailleurs sollicité et reçu le soutien de la quasi-totalité de ses partenaires sud-américains du Mercosul (Argentine-Uruguay-Venezuela) et de l’UNASUR (Union des nations sud-américaines). Cette dernière, selon le ministre équatorien des Affaires étrangères, Ricardo Patiño, a décidé d’étudier la mise en œuvre d’une plate-forme commune de communications visant à réduire le risque d’espionnage. L’Argentine et le Brésil ont par ailleurs signé un accord visant à mutualiser leurs cyberdéfenses. L’Argentine doit envoyer en décembre une mission militaire à cet effet auprès du CDECiber (Centre brésilien de défense en matière de cyber-écoute). Les deux ministères vont proposer à l’issue de cette rencontre une feuille de route, assortie d’un budget, à leurs gouvernements respectifs.
La crise ouverte en Amérique latine par la révélation du périmètre d’action de l’Agence de sécurité des Etats-Unis a sans aucun doute été accentuée par les mésaventures du chef de l’Etat bolivien, Evo Morales, au-dessus du ciel européen le 4 juillet dernier (voir les archives d’affaires stratégiques). Mais elle signale bien au-delà une distance grandissante avec les pays Occidentaux – les Etats-Unis bien sûr, mais aussi avec les pays européens, à l’exception notable de l’Allemagne – constatée sur bien d’autres dossiers conflictuels comme ceux de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), du Proche et du Moyen-Orient (Iran, Libye, Syrie).


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