Par Jean Jacques Kourliandsky,
chercheur à l’IRIS
Les écoutes, tous azimuts,
effectuées par les services secrets des Etats-Unis d’Amérique du Nord sont
aujourd’hui publiques. Les chefs d’Etat, les partis politiques, les entreprises
et organisations diverses latino-américaines étaient concernés, comme bien
d’autres.
La source de cette information
est connue et bien identifiée. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les autorités
nord-américaines se soient efforcées, avec un succès très relatif, de la tarir
et d’en neutraliser les flux. L’une de ces sources se trouve bloquée dans les
locaux de l’ambassade d’Equateur à Londres, Julian Assange, fondateur de
WikiLeaks, et l’autre, Edward Snowden, analyste repenti de l’Agence nationale
de sécurité des Etats-Unis (ou NSA), réside actuellement en Russie. L’une et
l’autre ont des excroissances journalistiques au Royaume-Uni et au Brésil. Il
s’agit du collaborateur du quotidien « The Guardian », Glenn
Greenwald et de David Miranda son associé brésilien.
Les conséquences de ce
dégorgement soudain sont en revanche plus intéressantes à examiner. Réalisées
en toute illégalité et en tous lieux, « amis » comme
« hostiles », ces écoutes ont en effet le mérite de révéler un état
du monde. Comment ont réagi les Etats et les personnalités ciblées ?
Quelles réponses envisagent-ils d’apporter ? L’Amérique latine a-t-elle
manifestée une sensibilité et une réactivité particulières ?
L’émotion, la condamnation et la
demande d’explications ont rempli les premiers communiqués diffusés par les
chancelleries de pays d’identités politiques aussi diverses que le Brésil et la
Colombie. Itamaraty, le ministère brésilien des Affaires étrangères a fait le
commentaire suivant : « Il s’agit d’une atteinte à la souveraineté
nationale et aux droits de l’Homme, incompatible avec les relations existant
entre pays amis. » Le palais de San Carlos, la chancellerie colombienne, a
au même moment rendu public son appréciation dans ces termes :
« Rejetant les actes d’espionnage qui violent le droit à l’intimité des
personnes comme les conventions internationales en matière de
télécommunications, la Colombie va demander au gouvernement des Etats-Unis
d’Amérique par l’intermédiaire de son ambassadeur en Colombie, les explications
qu’elle est en droit d’exiger. »
Jusque-là rien ne distingue
l’attitude des Latino-américains de celle manifestée, par exemple, par les
Européens. Mais la fusée latino-américaine dispose d’un deuxième étage qui fait
défaut à son homologue du vieux continent. Ce second élément, bien qu’ayant la
même cible, n’a pas la même charge selon les pays. Le Mexique, particulièrement
sourcilleux pour tout ce qui concerne la souveraineté et la non-ingérence, a
mis un premier caillou dans la chaussure du président Obama. José Antonio
Meade, secrétaire d’Etat aux relations extérieures, a en effet déclaré la chose
suivante : « Quand les normes sont violées les explications ne sont
pas suffisantes, nous attendons une enquête opportune, permettant d’identifier
les responsabilités et les mesures correctives adoptées. » Le Brésil a été
beaucoup plus loin. Sa présidente a spectaculairement manifesté son
mécontentement en suspendant une visite d’Etat programmée à Washington en
octobre.
Un certain nombre de décisions à
caractère défensif et opérationnels ont été, par ailleurs, annoncées. Le Brésil
a été particulièrement en pointe. Ses autorités ont en effet décidé d’imposer à
l’administration publique un codage des courriels selon des modalités élaborés
par le service fédéral de protection des données (ou Serpro). Le ministre
brésilien des communications a par ailleurs déposé un projet de loi visant à
contraindre les entreprises étrangères transnationales, présentes sur son
territoire et offrant un accès à internet, à « stocker » leurs
données sur place et à ne plus les envoyer dans un pays étranger.
La présidente brésilienne a
également centré son discours, lors de la dernière assemblée générale de l’ONU,
sur l’urgence et la nécessité de mettre en œuvre un instrument international
garantissant l’inviolabilité et la protection des données transitant par
internet. Le Brésil a reçu aux Nations unies le soutien de ses associés des groupes
IBAS (Inde-Brésil-Afrique du sud) et des BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine). Il a
par ailleurs sollicité et reçu le soutien de la quasi-totalité de ses
partenaires sud-américains du Mercosul (Argentine-Uruguay-Venezuela) et de
l’UNASUR (Union des nations sud-américaines). Cette dernière, selon le ministre
équatorien des Affaires étrangères, Ricardo Patiño, a décidé d’étudier la mise
en œuvre d’une plate-forme commune de communications visant à réduire le risque
d’espionnage. L’Argentine et le Brésil ont par ailleurs signé un accord visant
à mutualiser leurs cyberdéfenses. L’Argentine doit envoyer en décembre une
mission militaire à cet effet auprès du CDECiber (Centre brésilien de défense
en matière de cyber-écoute). Les deux ministères vont proposer à l’issue de
cette rencontre une feuille de route, assortie d’un budget, à leurs
gouvernements respectifs.
La crise ouverte en Amérique
latine par la révélation du périmètre d’action de l’Agence de sécurité des
Etats-Unis a sans aucun doute été accentuée par les mésaventures du chef de
l’Etat bolivien, Evo Morales, au-dessus du ciel européen le 4 juillet dernier
(voir les archives d’affaires stratégiques). Mais elle signale bien au-delà une
distance grandissante avec les pays Occidentaux – les Etats-Unis bien sûr, mais
aussi avec les pays européens, à l’exception notable de l’Allemagne – constatée
sur bien d’autres dossiers conflictuels comme ceux de l’OMC (Organisation
mondiale du commerce), du Proche et du Moyen-Orient (Iran, Libye, Syrie).
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