Par Sébastien Madau
Raul Castro et Barack Obama lors du dernier sommets des Amériques. PHOTO
AFP
Le 17 décembre
2014, les présidents cubain et américain Raul Castro et Barack Obama annonçaient
leur désir commun d'un rapprochement entre les deux pays. Washington admettait
l'échec de sa politique agressive envers l'île, et notamment la persistance du
blocus qui frappe Cuba depuis plus de 50 ans. Un an après, quelles sont les
avancées et les points de divergence majeurs ? Entretien avec Leyde
Rodriguez Hernandez, professeur en Relations Internationales à l'Institut supérieur
de Relations internationales à La Havane.
- Les annonces
conjointes de Raul Castro et Barack Obama du 17 décembre 2014 ont surpris
beaucoup de monde. Y compris les Cubains ?
Il n’y a pas de quoi être
surpris. D’un point de vue théorique, la politique extérieure des États évolue
dans un climat plus confidentiel que leur politique intérieure, pour des
questions de sécurité nationale. En revanche, en ce qui concerne la politique
extérieure de la Révolution cubaine, elle est directement liée à sa politique
intérieure, des intérêts de son peuple et de la Nation. La diplomatie cubaine
était absorbée par la lutte pour la libération des Cinq Cubains injustement
emprisonnés aux États-Unis et cette bataille a reçu l’appui populaire de la
même manière que la lutte contre le blocus ou pour la restitution du territoire
occupé de Guantánamo où se situe une base militaire des États-Unis et une
prison de la honte où l’on torture, on viole les plus élémentaires des droits
des prisonniers.
Ce qui est certain c’est que ce
17 décembre a créé une joie immense à Cuba et dans le monde car les Etats-Unis
n’avaient pas réussi, pendant près de 50 ans, à mettre en déroute la Révolution
cubaine à travers sa politique d'hostilité. Depuis 1959, le gouvernement cubain
avait toujours eu la volonté politique de nouer des relations de respect
mutuels avec les États-Unis, mais les administrations américaines successives
ont voté des lois et pris une voie agressive contre Cuba à travers des actes
d’agression militaire et de terrorisme, causant de graves dégâts humains et
matériels sur l’île. Mais comme a dit Fidel Castro en 1959, dans le contexte
actuel de relations Etats-Unis-Cuba, « qui sait, à l’avenir tout sera
peut-être plus difficile ».
- Après une
année de dialogue renoué, dans quels domaines enregistre-t-on les progrès les
plus significatifs ?
La dynamique bilatérale présente
des avancées discrètes, le temps que les deux parties identifient les aspects
qui demeurent en suspens. Mais il y a aussi eu ces derniers mois des avancées
comme par exemple le fait que dès janvier 2015, Cuba a accueilli de nombreux
congressistes, d’hommes d’affaires et de représentants d’organismes
gouvernementaux nord-américains. Ensuite, le 29 mai, les Etats-Unis ont annoncé
officiellement le retrait de Cuba de la liste des pays qui, selon le
département américain, soutiennent le terrorisme, une liste dans laquelle Cuba
n’aurait jamais dû figurer.
Diverses réunions ont ensuite eu
lieu à Washington et La Havane et le 20 juillet a vu le rétablissement officiel
des relations diplomatiques avec l’ouverture d’ambassades.
L’installation d'une commission
bilatérale pour évaluer l'avancée du processus vers la normalisation a été un
autre succès important. Cette instance s'est réunie en septembre à La Havane et
en novembre à Washington.
Parmi les autres faits
marquants : l’émission de régularisation de la part du département du
trésor américain et du commerce. Dans les deux cas, même si les mesures
flexibilisaient des aspects ponctuels du blocus, il restait en deçà de ce que
la loi permet à Obama de faire sans passer par le Congrès.
Début décembre, Cuba et les
États-Unis ont également décidé de relancer le transfert du courrier postal
direct, alors qu’il se réalisait jusque-là à travers un pays tiers.
Malgré des problèmes encore à
résoudre, le solde est positif dans ce processus de normalisation. C’est un
mécanisme très difficile à faire revenir en arrière même si les gouvernements
reconnaissent que persisteront pendant des années de profondes différences
d’approche. Ce qui n’empêchera pas les deux nations de vivre en paix, sur la
base du respect mutuel.
- Les
États-Unis en ont donc fini avec leur volonté de pousser au changement de
système politique à Cuba ?
Attention ! Le président
Obama avait été clair le 17 décembre 2014 en affirmant que le changement de
nature des relations avec Cuba ne signifiait pas l’abandon de l’objectif de
Washington de renverser l’ordre économique, social et politique de l’île, mais
qu’il s’agissait, avec le même objectif, de le faire par d’autres moyens. Il a
rappelé son désir de visiter l’île l’année prochaine, tout en mettant quelques
conditions –influencé par un intérêt électoral et par sa volonté d’être bien
perçu par l’ultra droite américaine- comme celle de rencontrer ce que l’on
appelle des « dissidents ou des groupes qui depuis des
années reçoivent des financements des États-Unis.
- Quels sont
aujourd'hui les thèmes de divergences majeurs ?
Le principal écueil pour
normaliser les relations entre La Havane et Washington c’est le blocus
économique, commercial et financier imposé à l’île par les États-Unis depuis
plus de cinq décennies. Les préjudices, condamnés depuis plus de 20 ans par
l’Assemblée générale de l’ONU, ont été estimés à 800 milliards de dollars. Le
congrès américain est le seul qui puisse voter sa levée et, parmi ses
composantes, il existe une volonté dans les deux partis, et majoritaire de le
faire. En plus des 60% de l’opinion publique. Toutefois, des experts ont relevé
que le leadership républicain n’est pas disposé à prioriser le thème des
sanctions contre Cuba bien que de nombreux membres de ce parti demandent sa
levée.
Actuellement, une des majeures affectations
produites par le blocus se situe au niveau financier, du fait de l’interdiction
pour Cuba d’utiliser le dollar dans les transactions internationales.
D'ailleurs, depuis un an, le département du trésor américain a infligé 5
amendes, pour un montant de près de 3 milliards, contre des entités bancaires
et des entreprises étrangères qui avaient réalisé des affaires avec Cuba.
La controverse autour des
compensations est aussi en voie de résolution après une réunion à La Havane
début décembre pour identifier les positions de chacune des parties. Alors que
Washington demande une indemnisation pour la nationalisation des compagnies
américaines après le triomphe de la Révolution de 1959, la partie cubaine
demande, elle, des indemnisations pour les énormes dégâts matériels et humains
causés par les administrations américaines successives.
Pour le gouvernement cubain,
l’autre sujet vital est la nécessité que le congrès américain abroge ladite Loi
d’Ajustement cubain qui, depuis 1966, offre des privilèges uniques aux citoyens
cubains qui arrivent aux États-Unis, ce qui stimule l’émigration illégale
depuis l’île, par n’importe quelle voie. La Havane sollicite également les
États-Unis pour qu’ils éliminent la politique dite « pied sec pieds
mouillés » qui établit l’accueil aux Cubains qui touchent le sol
nord-américain et le rapatriement vers l’île de ceux qui sont interceptés dans
la mer avant d’avoir atteint les États-Unis. Pour le moment, les autorités
américaines ont répété qu’il n’était pas prévu d’agir sur cet sujet.
La chancellerie cubaine exige
également de Washington, la restitution du territoire occupé illégalement de la
base navale de Guantánamo tristement célèbre dans le monde pour sa prison
ouverte en janvier 2002 par le président George W.Bush. La fin des
transmissions illégales de radio et télévision vers l’île et de programmes
prônant le changement de régime font aussi partie des exigences cubaines.
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